mercredi 10 décembre 2025

Ciel européen : consolider pour exister

L’aviation européenne amorce un nouveau chapitre : entre prises de participation, privatisations à venir et ajustements stratégiques, les compagnies cherchent à optimiser leurs réseaux pour rester compétitives.

Selon IATA au 3ème trimestre, l’économie mondiale montre une résilience face aux défis, mais la croissance devrait ralentir fin 2025. Les prix des matières premières, notamment le pétrole brut, sont en baisse. Les coûts du carburant représentent 27 % des coûts totaux des compagnies aériennes, tandis que les coûts de main-d’œuvre atteignent 29 %[1]. Le trafic passagers a connu une croissance modérée, avec des variations régionales notables. La demande de fret aérien augmente, atteignant des niveaux records.

En Europe la capacité a augmenté de 3,6 % sur un an, portée par les routes vers l’Asie (+7,4 % YoY) et le marché Europe-Amérique du Sud (9,7 % YoY). Pour cet hiver, l’évolution de la capacité de l’industrie est en croissance +7% en SKO [2] au départ de l’Europe vers le monde. Une grosse partie de cette croissance est liée au développement de Turkish Airlines. Air France est sur un rythme soutenu de croissance avec +4% SKO. La compagnie est le 2ème acteur derrière Turkish Airlines et reste devant British Airways, Lufthansa et Emirates.

Dans ce contexte, Ben Smith et Carsten Sporh, le PDG du groupe Lufthansa, se sont exprimés ensemble dans la presse[3]. « Nous faisons tous deux le même constat : les règles du jeu du transport aérien long-courrier en Europe ne sont pas équitables pour les compagnies aériennes européennes. L’Union européenne est un marché ouvert, mais beaucoup de nos concurrents ne sont pas soumis aux mêmes contraintes réglementaires, ni aux mêmes taxes et bénéficient d’avantages que nous n’avons pas » explique Ben Smith. Il souligne également qu’« en Europe aussi, nous devons créer trois groupes puissants » à l’instar des Etats-Unis. Pour cela « l’Europe doit accepter et même soutenir la création de champions européens mondiaux, à même d’assurer sa souveraineté ».

Les évolutions notables du secteur concernant les consolidations :

  • En prenant le contrôle d’Air Europa, Turkish Airline compte se positionner sur le marché latino-américain actuellement en croissance.
  • Selon Air Journal, « la compagnie nationale polonaise LOT Polish Airlines chercherait à prendre le contrôle de Smartwings, acteur clé du transport aérien tchèque, marquant ainsi une nouvelle étape dans la consolidation du ciel d’Europe centrale ».
  • ITA Airways rejoindra Star Alliance début 2026. La compagnie attend également l’approbation de joint-ventures avec Lufthansa sur les liaisons transatlantiques et vers le Japon.
  • Lufthansa a déjà pris 41 % d’ITA Airways et 10% d’Air Baltique.
  • Air France-KLM a annoncé son intention d’augmenter sa participation dans SAS de 19,9 % à 60,5 %, devenant actionnaire majoritaire. L’opération est attendue pour la seconde moitié de 2026 après validation réglementaire.
  • La privatisation de TAP est relancée, l’État conserverait une participation majoritaire (50,1 %) et mettrait sur le marché jusqu’à 44,9 % du capital de TAP, les 5 % restants étant réservés aux salariés[4]. Les trois grands groupes européens sont candidats, principalement afin d’accéder au marché sud-américain en général et brésilien en particulier.

Ces dossiers montrent que la consolidation européenne passe par des participations, des privatisations partagées, moins par des fusions totales. Ces stratégies permettent de consolider en limitant les risques face au poids de la régulation. L’Europe est la région la plus fragmentée, la plus régulée, et celle où les fusions complètes sont les plus difficiles. Seulement, les participations minoritaires ne sont pas optimales. Elles présentent un risque de consolidation inaboutie,en matière de gouvernance, de synergies et d’entrainer des pertes de liquidités. Les tentatives d’Etihad Airway d’Abu Dhabi de prendre des participations minoritaires dans des compagnies aériennes telles qu’Air Berlin et Aer Lingus se sont avérées peu avantageuses[5].

Néanmoins, la fusion complète reste un exercice complexe au-delà des contraintes législatives. L’intégration de compagnies différentes implique de concilier des cultures d’entreprise variées, et d’harmoniser ou de fusionner des pans d’activités comme les systèmes informatiques et des ou encore les flottes hétérogènes. Il en est de même dans le cadre de rapprochements.

Cependant, si l’Europe ne consolide pas, elle perdra en puissance face aux groupes américains, chinois ou du Golfe et pourrait perdre des parts de marché long-courrier, notamment vers l’Asie, l’Afrique et l’Amérique latine.

À cela, s’ajoute les compagnies low-cost qui redistribuent la dynamique concurrentielle intra-européenne. Comme le rappelle Ben Smith, « cette consolidation n’a pas empêché le marché européen de rester extrêmement concurrentiel ». Ryanair, EasyJet mais aussi Wizz Air ou Volotea imposent une pression forte sur les tarifs et sur la capacité des compagnies traditionnelles à dégager des marges.

De plus, la consolidation pourrait permettre aux compagnies européennes de mutualiser les investissements, sécuriser l’accès au SAF et préserver la compétitivité des hubs européens. Sans consolidation, le surcoût du SAF risque de creuser l’écart entre l’Europe et les régions du monde où les acteurs sont plus concentrés. Le développement du SAFexige des capacités financières, industrielles et contractuelles importantes.

Les risques concrets si l’Europe ne parvient pas à consolider ses forces, est celui d’un report de trafic vers des hubs extra-européens, entraînant une érosion de la compétitivité des compagnies européennes mais également une empreinte carbone potentiellement plus élevée et non soumise aux mêmes contraintes environnementales.


[1] IATA

[2] OAG

[3] https://www.lesechos.fr/industrie-services/tourisme-transport/la-grande-offensive-des-patrons-dair-france-klm-et-lufthansa-pour-obtenir-des-regles-du-jeu-equitables-2193352

[4] https://aeromorning.com/air-france%E2%80%91klm-confirme-son-interet-pour-la-privatisation-partielle-de-tap-air-portugal/?utm_source=substack&utm_medium=email

[5] https://ch.zonebourse.com/cours/action/AIR-FRANCE-KLM-4604/actualite/Les-compagnies-aeriennes-europeennes-se-tournent-vers-des-fusions-acquisitions-de-taille-reduite-49238738