La dynamique de reprise post-Covid se confirme dans le transport aérien mondial en 2025, mais elle est freinée par un contexte économique global instable. L’IATA, qui rassemble 350 compagnies représentant plus de 80 % du trafic mondial, a récemment revu à la baisse ses prévisions : moins de 5 milliards de passagers seront transportés cette année, contre 5,22 milliards initialement espérés[1]. Cette révision s’accompagne d’une baisse des prévisions de bénéfices, estimés à 36 milliards de dollars soit 600 millions de moins qu’attendu. Le volume de fret aérien a également été revu à la baisse, à 69 millions de tonnes, contre 72,5 millions anticipés.
Le directeur général de IATA pointe des « vents contraires », liés aux tensions géopolitiques, la pression fiscale et à la montée du protectionnisme. Le secteur reste un grand employeur mondial, avec environ 3,3 millions d’emplois directs dans les compagnies aériennes en 2025 et 86,5 millions si on inclut l’ensemble de la chaine de valeur.
Toutefois, la croissance de l’emploi ne suit pas celle du trafic. Les compagnies investissent massivement dans la digitalisation et l’automatisation, réduisant certains postes traditionnels (accueil, gestion de bagages, billetterie). La pression sur les coûts reste forte, en dépit de la baisse du prix du kérosène, avec une priorité donnée à la rentabilité nette. Les transitions numérique et écologique requièrent des compétences rares ou nouvelles accentuant les tensions sur l’emploi.
A cela s’ajoute, l’ombre d’un défi générationnel qui pèse sur cette croissance relativement freinée. Les tensions sur l’emploi dans le secteur menacent de devenir structurelles. Au niveau mondial, rien que pour les techniciens qualifiés, il est estimé un manque de 20 000 et 40 000 salariés d’ici à 2030, avec une pénurie particulièrement aiguë en Amérique du Nord et en Europe de l’Ouest[2]. Les prévisions de Boeing sont vertigineuses, avec l’estimation d’un besoin mondial de 2,4 millions de salariés, dont 716 000 nouveaux techniciens dans les 10 prochaines années.[3]
En Asie, les besoins sont en hausse en raison de commandes d’avions et la main d’œuvre formée n’est pas suffisante[4]. Rien que pour l’inde, il faudrait 14 000 emplois de maintenance supplémentaires afin de répondre à la demande dans les prochaines années[5]. Aux USA, près de 40% des mécaniciens aéronautiques vont partir à la retraite d’ici à 2031[6].
En Europe, les annonces de recrutements massifs, à l’image des 10 000 postes annoncés en début d’année chez Lufthansa, masquent un climat social tendu. Les low-cost grignotent encore des parts de marché, accentuant la pression sur les modèles sociaux traditionnels.
En France, la triplication de la taxe sur les billets d’avion (TSBA) pourrait causer jusqu’à 11 500 suppressions de postes selon les estimations publiées fin 2024[7]. En parallèle, le secteur doit faire face à des départs massifs avec un défi générationnel majeur. D’ici 2035, 25 à 30 % des effectifs aéroportuaires seront partis à la retraite. Certains métiers clés personnels navigants, maintenance et logistique seront particulièrement affectés.
Les services au sol, notamment les agents de piste, les bagagistes et les agents d’escale, sont principalement touchés par des difficultés de recrutement. Ces métiers, souvent exigeants physiquement et soumis à des horaires décalés, peinent à attirer de nouveaux candidats. La situation est d’autant plus complexe chez les sous-traitants, qui représentent une part significative de la main-d’œuvre aéroportuaire. Ces entreprises, souvent soumises à une forte pression économique, rencontrent des obstacles pour fidéliser leur personnel.
De plus, le cabinet de conseil en gestion Kearney estime qu’une augmentation des dépenses de défenses à 3% du PIB reviendrait à un besoin de 760 000 personnes en Europe. Ces recrutements risquent de faire concurrence et d’accentuer les difficultés de recrutements de certains profils techniques.
Le gouvernement français a d’ailleurs révisé en mai 2025 la liste des métiers en tension, permettant de recruter plus facilement hors UE, sans obligation d’offre préalable.
Avec plus de 40 000 salariés, Air France poursuit son expansion sur le long-courrier, et multiplie les campagnes de recrutement et d’alternance. La compagnie reste confrontée à trois défis majeurs :
- Adapter les compétences aux nouvelles technologies et exigences environnementales.
- Anticiper les tensions et les prochains départs à la retraite, en particulier dans les métiers techniques et opérationnels.
- S’assurer de la performance sur l’ensemble de la chaîne de valeur, alors que les tensions montent, y compris chez les sous-traitants.
La performance est désormais indissociable d’une reconfiguration des métiers et d’une adaptation des compétences. Les tensions de recrutement nécessitent une mobilisation collective, où le dialogue social joue un rôle central pour construire l’avenir de l’emploi dans l’aviation.
Juin 2025
[1] https://www.iata.org/en/publications/economics/reports/global-outlook-for-air-transport-june-2025/
[2]https://avi-go.com/blog/articles/avi-go-deep-dive-the-22b-wide-body-mro-market-breakdown-oem-dominance-vs-independent-innovation-2024-2034?
[3] https://www.boeing.com/commercial/market/pilot-technician-outlook#forecast
[4] https://bimp-eaga.asia/article/southeast-asia-ramps-capacity-cash-booming-aircraft-services?
[5] https://utkalaerospace.com/rising-demand-for-aircraft-maintenance-engineers?
[6] https://blog.flyhaa.com/blog/haa-launches-aircraft-mechanic-school-to-address-national-technician-shortage?
[7] Communiqué de la FNAM et l’UAF