L’ITW dialogue social : Olivier MERIAUX directeur des études au cabinet Plein Sens

Olivier MERIAUX, Directeur des études au cabinet Plein Sens

➡️ Pouvez-vous vous présentez ?

OM: J’ai 51 ans, je suis depuis deux ans directeur des études au sein du cabinet Plein Sens, qui est une structure indépendante d’une trentaine de consultants dont le domaine d’activités s’étend de la stratégie des relations sociales en passant par l’amélioration des conditions de travail. J’ai eu une première carrière comme chercheur à Sciences Po, avec une parenthèse de dirigeant d’un cabinet conseil en politiques publiques, avant de devenir directeur scientifique de l’Agence Nationale pour l’Amélioration des Conditions de Travail en 2015. Je suis par ailleurs membre du comité d’évaluation des « ordonnances Travail ».

 

➡️ Qu’est-ce que le dialogue social ?

OM: Le terme de « dialogue social » est aujourd’hui utilisé de manière systématique, et donc à tort et à travers. On a souvent tendance à oublier que ce n’est qu’en 2004, avec loi « Fillon », que ce terme est rentré dans le Code du Travail, sans que le Législateur ne prenne d’ailleurs la peine de le définir, au grand dam des juristes. Par « dialogue social » on désigne généralement deux mécanismes très différents dans l’entreprise : celui de la négociation d’accords collectifs d’une part, celui de l’information-consultation des instances représentatives du personnel d’autre part. Si on sort de l’entreprise, le « dialogue social » renvoie à d’autres mécanismes, encore plus divers, de discussions, de concertation, entre les pouvoirs publics à différents niveaux et ceux que l’on a pris l’habitude de nommer les « partenaires sociaux ».

➡️ Quels sont les objectifs/les enjeux du dialogue social au sein d’une entreprise ?

OM: La loi prescrit un certain nombre de sujets de négociation ou d’information des instances. Mais au fond il est difficile de répondre autre chose que : « les enjeux du dialogue social c’est ce que ses parties-prenantes désignent comme tels ». De manière très générale, on peut dire que dans l’entreprise, comme dans toute organisation — même les plus « militaires » — le pouvoir hiérarchique ne peut jamais se passer de l’obtention d’une forme d’accord sur les objectifs et les moyens de les atteindre de la part de ceux qui y contribuent. C’est nécessaire en marche courante pour que l’organisation collective fonctionne de manière à peu près efficace. Ça l’est encore davantage en période de turbulences comme on le voit dans la crise actuelle : c’est grâce à un dialogue social actif, y compris parfois tendu, que des entreprises confrontées à de grandes difficultés ont réussi à trouver des solutions permettant de sauvegarder l’essentiel, et à les faire accepter par le corps social. Il y a toujours un enjeu de légitimation des décisions de gestion, à défaut d’une logique de co-construction de la décision, qui reste un peu étrangère à notre culture des relations sociales.

➡️ Depuis 2015, plusieurs lois ont remodelé le dialogue social. Quelles sont les conséquences en pratique ?

OM: En réalité, c’est au moins depuis 2004 que le système français de relations sociales est en permanente reconstruction. Avec d’ailleurs une certaine logique d’ensemble par-delà les alternances politiques, consistant d’une part à asseoir la légitimité des organisations représentatives sur l’élection, d’autre part à promouvoir l’entreprise comme niveau privilégié de négociation (par rapport aux accords de branche), et enfin à simplifier le paysage des instances représentatives du personnel. C’est ce mouvement qui a été parachevé par les « Ordonnances Travail » de 2017, avec la création du Comité Social et Economique, qui exerce les attributions des Comités d’Entreprise, des CHSCT et des délégués du personnel.

➡️ La fusion des instances a-t-elle rendu le dialogue plus efficace ?

OM: Il est bien difficile d’en juger, d’abord parce que la pratique du dialogue social est très hétérogène selon les entreprises, car intimement liée à l’histoire singulière de chaque entreprise, et donc à une culture des relations sociales et de l’exercice du pouvoir de direction qui s’est construite dans la durée. Ensuite parce que cette réforme est encore toute récente, et que les acteurs sociaux, représentants du personnel et directions, ont eu beaucoup de choses à assimiler en peu de temps. Côté représentants des salariés, les ressources ont diminué et des repères anciens ont disparu, comme les délégués du personnel, ce qui a compliqué l’apprentissage du nouveau cadre. Il est certain que la fusion a créé une « surcharge » des nouvelles instances, surtout là où on n’a pas changé fondamentalement les manières de fonctionner. Le nouveau cadre impose aux représentants du personnel beaucoup plus de rigueur et de discipline dans la gestion des instances, ça devient réellement un impératif de gérer le CSE et ses différentes commissions « en mode projet ».

➡️ Quels sont les indicateurs d’un dialogue social de qualité ?

OM: Là encore, je crois qu’il n’y pas de réponse qui puisse s’imposer de l’extérieur. C’est aux parties-prenantes de faire l’exercice et d’essayer de se mettre d’accord. Certaines organisations syndicales mettront en avant des indicateurs axés sur la satisfaction des revendications salariales, d’autres sur l’intégration de leurs propositions en termes d’organisation, alors que la partie employeurs pourra privilégier des indicateurs comme le taux de conflictualité ou l’abstention aux élections professionnelles. Des indicateurs de ce type ne sont jamais neutres et s’inscrivent toujours dans une échelle de valeurs et de priorités. A ce titre, évaluer la qualité du dialogue social peut devenir un très bon objet de… dialogue social ! On a ce débat en ce moment dans un grand groupe que nous accompagnons pour faire réfléchir conjointement l’ensemble des membres des CSE et surtout leurs managers directs. On voit bien que pour les managers, surtout les plus jeunes, l’utilité du temps passé dans les mandats de représentation n’apparait pas spontanément manière évidente.

➡️ Quel est l’état du dialogue social en entreprise dans le contexte de crise actuel ?

OM: La crise n’a pas effacé par miracle les traits dominants de la culture française du management et des relations sociales, qui se reflètent dans la pratique du dialogue social. Les enquêtes comparatives nous décrivent comme un pays où dominent le formalisme, l’unilatéralisme, le pilotage descendant, le manque de reconnaissance, d’autonomie et de confiance. Mais dans la période récente, le dialogue social a plutôt fait la preuve de son intérêt et de son adaptabilité, ce qui indique aussi peut-être que les entreprises, confrontées à l’imprévu, ont su trouver des fonctionnements plus souples.

➡️ Pouvez-vous citer les défis/pistes d’améliorations du dialogue tel qu’il existe aujourd’hui dans les entreprises françaises ?

OM: Outre les éléments que j’ai déjà mentionnés — trouver un nouveau mode de fonctionnement pour cette instance unique, mieux faire comprendre aux managers l’utilité du dialogue social — il me semble que le défi majeur consiste à sortir le dialogue social des sentiers battus en l’articulant avec d’autres formes de mise en discussion et de décisions co-construites : le dialogue « professionnel », au plus près de la réalisation de l’activité, qui va permettre de confronter en permanence les vécus au travail avec les cadres prescrits par l’organisation ; le dialogue stratégique, sur les grandes options à moyen terme, qui devrait sécuriser les conditions de l’engagement durable des actionnaires ; le dialogue avec les parties-prenantes, pour réellement intégrer les facteurs externes, environnementaux, dans les choix de développement. C’est davantage la gouvernance d’ensemble de l’entreprise qu’il faut rééquilibrer que le dialogue social en lui-même.

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