Copyright LEROUX Christophe, "A318 Air France", Portfolios Avion Air France, 26/05/2016

Quand les Etats volent à la rescousse des compagnies aériennes

(Temps de lecture 6 min)

La crise sanitaire de la COVID-19 a entrainé une crise économique sans précédent avec une chute de 9% du Produit Intérieur Brut français en 2020[1]. La pandémie et les restrictions sanitaires ont pesé sur l’acti-vité exposant à la faillite les transporteurs aériens. Les Etats sous le patronage de l’Union Européenne (UE), ont été les sauveurs en dernier recours des compagnies fragilisées par la crise.

➡️ Un consensus rapide en Europe pour lever l’interdiction de recours aux aides d’Etat

« Une fois que le bateau a coulé, tout le monde sait comment on aurait pu le sauver »[2], et ce ne sont pas les critiques et les propositions de solutions alternatives aux mesures du gouvernement Macron et de l’UE pour lutter contre la crise sanitaire puis économique qui contrediront ce postulat. Pourtant pour la première fois, les Etats européens ont été plus réactifs que les gouvernements étrangers notamment ; Nord-Américains et Chinois.

Nos concurrents des continents voisins ont toujours protégé les secteurs stratégiques de leurs économies pour préserver la compétitivité de leurs entreprises, alors que l’Europe a longtemps refusé de subventionner les entreprises exerçant dans l’espace économique pour ne pas fausser la concurrence. La Covid a eu raison de cette doctrine européenne. En effet, la Commission Européenne a fait le choix extraordinairement prématuré, de déroger aux règles de concurrence avec la mise en place d’un plan de relance de 750 Mds€ pour financer les différents programmes de sauvetages nationaux, à peine deux mois après le début de l’état d’urgence français. La Commission a appliqué pour la première fois dans l’histoire de la CEE[3] et de l’UE, l’article 107 paragraphe 2b relatif aux aides d’Etat : « sont compatibles avec le marché […] les aides octroyées par les Etats membres afin de remédier aux dommages provoqués par des calamités naturelles ou d’autres évènements extraordinaires [4]». Ainsi les aides d’Etats Allemand, Français, Italien etc. étudiées avec minutie par la Commission Européenne, ont été accordées dans le secteur aérien dès mai 2020.

➡️ Différents dispositifs d’aides, pour soutenir au mieux les entreprises

Les aides d’Etat COVID ont pris plusieurs formes. Les plus connues en France, car elles concernent les salariés et les entreprises ; c’est les dispositifs d’Activité Partielle (AP) et l’Activité Partielle de Longue Durée (APLD). Ce sont des  allocations financée par l’état et l’Unedic[5] destinées à maintenir les emplois tout en ne creusant pas le résultat des entreprises. Air France a bénéficié du dispositif d’AP qui a permis de baisser ses coûts du personnel de 31% sur l’année 2020 par rapport à 2019.  Depuis fin 2020, l’accord APLD a été signé et mis en place pour deux ans.

L’autre aide d’Etat en cette période de crise est le prêt garanti par l’état (PGE), un dispositif de prêt permettant de soutenir le financement bancaire des entreprises. Une garantie d’état couvre 70% du PGE pour les grandes entreprises et 90% pour les PME[6] en Europe, ce qui constitue une véritable garantie pour les apporteurs de fonds en cette période d’incertitude et facilite donc les prêts. Lufthansa a bénéficié d’un PGE de 3 Mds€ garanti par l’Allemagne, Air France de 4 Mds€ par la France,  Vueling et Ibéria faisant partie du groupe IAG ont contracté un PGE de 1.01 Md€ avec l’aide de l’Etat Espagnol ; et Aegan Airlines, Brussels Airlines ainsi que de nombreuses autres compagnies ont fait l’objet d’un sauvetage par PGE[7].

L’exonération ou le report des prélèvements de certaines taxes et redevances ont été mises en place pour limiter les charges qui pèsent sur les comptes des entreprises. L’impôt différé constitue également une aide d’état. L’impôt sur les sociétés 2021 d’Air France par exemple sera différé et le premier acompte sera exceptionnellement calculé sur la base de l’exercice de 2020 et non de 2019 avec une marge d’erreur allant jusqu’à 10%.[8]

Enfin, depuis plusieurs mois, la recapitalisation d’Air France a fait l’objet de nombreuses polémiques. La recapitalisation désigne l’augmentation du capital social d’une entreprise et peut se faire par simple écriture comptable en faisant passer les bénéfices et les réserves vers le compte « capital social », par apport en nature de biens matériels ou argents qui seront intégrés au patrimoine de l’entreprise. Une augmentation de capital peut aussi se faire, grâce à la reconversion d’obligations (prêts) en capital, à des apports en numéraires ou encore à la fusion de deux ou plusieurs sociétés. Cette aide est notamment destinée aux entreprises stratégiques, les plus en difficulté, dont les capitaux propres sont inférieurs à la moitié du capital social. Par ailleurs, Air France avec un niveau de fonds propres négatifs depuis plusieurs mois, a bénéficié d’une aide à la recapitalisation de 4 Mds€. 3 Mds€ proviennent de la conversion du prêt français en obligations hybrides (TSS) et 1 Md€ ; de l’émission de nouvelels actions ouvertes en priorité aux actionnaires d’Air France-KLM. La compagnie sœur, KLM est en négociation avec la Commission Européenne pour obtenir une aide à la recapitalisation de l’Etat Néerlandais. Ces montages financiers permettront à la holding de renforcer sa solidité financière.

➡️ Des aides inégales accordées par l’UE, sous conditions définies par les Etats membres

Ces aides ne sont pas gratuites même si elles sont concédées à des taux bonifiés. La BCE a d’ailleurs promis de garder les taux d’intérêt à un niveau assez bas pour que les remboursements ne pèsent pas sur les futurs chiffres des entreprises. Pour le reste, la maturité des prêts ainsi que le coupon annuel diffèrent selon les états aidants et les compagnies aidées. Le PGE accordé par l’Etat Néerlandais à KLM a une maturité de 5 ans avec un coupon d’un taux annuel égal à l’Euribor augmenté d’une marge de 1,35% représentant le coût de la garantie égale à 0,50% la première année, 1% la deuxième et 3ème année et 2% les deux dernières années. [9] Tandis que le PGE français à Air France a une maturité maximale de 3 ans, avec un coupon hors coût de la garantie de l’état à Euribor augmenté d’une marge de 0,75% la première année, 1,50% la deuxième année et 2,75% la troisième.[10] Ces aides ne sont donc pas accordées aux mêmes conditions financières.

Par ailleurs, outre le respect des contraintes écologiques imposées dans le projet de loi « Climat et Résilience [11]», dans lequel il est stipulé que les vols de moins de 2h30 pouvant être desservies par le ferroviaire sont interdits[12], les compagnies aidées doivent élaborer un objectif, un plan environnemental. En ce sens, Air France a déjà investi dans des avions A220 pour rajeunir sa flotte et diminuer son empreinte carbone, mais aucun plan 0 carbone n’a été réalisé pour le long terme[13]. Ces conditions écologiques sont donc laissées à la bonne volonté des entreprises qui jugent ces nouvelles préoccupations environnementales comme incohérentes, inefficaces et en contradiction avec les objectifs économiques et l’activité même des transporteurs aériens[14]. Elles sont également discriminatoires car elles ne sont pas imposées aux autres modes de transport.

Les entreprises subventionnées ont également un devoir économique de maintenir le plus d’emploi possible tout en réduisant les coûts, dilemme encore une fois, contradictoire voire impossible. En effet, dans le cas d’Air France par exemple, malgré l’allocation d’APLD, la compagnie a eu recours à un Plan de Départ Volontaire pour sauver son résultat en réduisant l’un de ses plus gros postes de dépense.

Ces sociétés ne peuvent verser des dividendes, faire des investissements ou embaucher en externe tant que les prêts ne sont pas remboursés or, il y a certains investissements qui urgent pour trouver des solutions technologiques pour sortir de la crise.

Les entreprises aidées ont également le devoir de ne fausser la concurrence par les prix et sont tenues d’offrir une large gamme de produits au consommateur. Par ailleurs, les aides sont accordées en contrepartie de contraintes économiques sous la haute surveillance de la DGAC[15] et de la COHOR[16]. Pour ne pas favoriser Air France par rapport à ses concurrentes par exemple, la Commission Européenne a imposée à la compagnie, en contrepartie de l’autorisation de l’aide à la recapisation, de céder 18 slots à Orly à des entreprises basées en France ou à de nouveaux entrants sur le marché Français. Toutefois la concurrence est forcément affectée car toutes les entreprises ne sont pas subventionnées et les entreprises aidées ne le sont ni à la même hauteur, ni aux même conditions : ce sont les pays qui décident des modalités de subventions et non l’UE, ce qui favorise l’inégalité à l’intérieur de l’Union Européenne. Surtout lorsque des pays comme l’Allemagne bénéficient d’une meilleure confiance des banques et sont plus aptes à récolter des fonds pour soutenir leurs entreprises.

La COVID semble avoir redessiné le paysage économique et sonné le glas du néolibéralisme. A travers les différents dispositifs d’aides, les états auparavant exclus de la sphère économique et cantonnés à leurs rôles régaliens, ont été les sauveurs de derniers recours des secteurs clés.  Par ailleurs les Etats européens en voulant protéger leurs entreprises ont mis sous pression la BCE qui a favorisé, pour la première fois, l’économie réel au détriment de l’économie financière et monétaire. Et la crise n’a pas modifié que le paysage européen, tous les pays du monde semblent se tourner vers leurs marchés intérieurs et vouloir protéger les entreprises nationales au détriment du commerce et de l’investissement international. Reste à savoir si ce paysage n’est que temporaire ou si la COVID changera définitivement le monde des affaires.

Qu’est qu’une aide d’état ?

Si l’aide d’état n’est pas clairement défini au sens du TFUE car interdit au sein de l’UE du fait de ses éventuels effets néfastes sur le libre-échange et la concurrence, 4 critères permettent de savoir si l’on est en présence d’une aide d’état :

  • Critère du financement octroyé au moyen de ressources d’état ;
  • Aide sélective qui favorise certaines entreprises ou productions ;
  • Aide qui a des conséquences sur la concurrence ;
  • Aide qui affecte les échanges intra-Union.

Le cadre temporaire permettant aux états d’octroyer des aides à leurs entreprises a été mis en place dès la mi-mai 2020, et devait se terminer le 31 décembre 2020, mais toutes les aides comprises dans le mouvement de lutte contre la COVID sont possibles jusqu’à l’été 2021, selon la Commission Européenne.

➡️ Notes et références :

[1] « Notes et points de conjoncture de l’année 2020 », INSEE, 15/12/20
[2] Proverbe Anglais
[3] Selon la définition de l’INSEE : La Communauté Economique Européenne (CEE) est une ancienne organisation supranationale crée en 1957, pour mener une intégration économique entre nombreux pays européen
[4] Article 107 paragraphe 2B du « Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne »
[5] L’Union Nationale Interprofessionnelle pour l’emploi dans l’Industrie et le Commerce(Unedic), administre le régime d’assurance chômage et fixe les modalités d’indemnisation et gère les partenaires sociaux.

[6] Direction de l’Information légale et adminsitrative, « Prêt Garantie Par l’Eat (PGE) », Site officiel de l’adminsitration Française,01/01/2021

[7] Source Commission Européenne, ec.europa.eu

[8] « Impôts sur les sociétés, prêts… l’Etat veut continuer d’assister les entreprises face au COVID », La Tribune,  03/03/2021
[9]« Air France : prêt colossal à KLM, soutenu par les Pays Bas », Capital, 26/06/2020

[10]  « Signature des financements pour un montant total de 7Mds€ permettant au groupe AFKLM et à AF de traverser la crise et préparer l’avenir », GlobeNewswire, 07/05/2020

[11] « Projet de loi portant sur la lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets », Assemblée nationale, 10/02/2021

[12]Lucie Bras, « la suppression des vols intérieurs courts en France concernera toutes les compagnies pas seulement Air France », 20Minutes, 22/06/2020

[13] « Air France : Orientations stratégiques en 2020 », Syndex, réalisé entre 29/09 au 02/10/2020

[14] Thierry Blancmont, « Climat v aérien : discrimination, inefficacité et incohérence selon la SCARA » , Air Journal, 03/03/2021

[15] Selon le Ministère de la transition écologue, la Direction Générale de l’Aviation Civile (DGAC) est l’organisme qui assure la surveillance des industriels, des opérateurs et des personnels naviguants dans l’aérien

[16] Selon le site de la COHOR, l’Assoiation pour la Coordination des Horaires est une association indépendante à but non lucratif. L’Association se compose de 10 membres compagnies aériennes et de maximum 3 membres gestionnaires d’aéroports historiques.

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