Le transport aérien à la croisée des chemins : perspectives de la transition écologique

Afin de survivre à la crise économique et sociale provoquée par la pandémie de covid-19, les compagnies aériennes ont accumulé une dette colossale, s’élevant à plusieurs milliards d’euros. Cette situation a eu un impact considérable sur leurs équilibres financiers qui peut encore limiter leur profitabilité. De plus, l’inflation des prix du carburant en 2022 a créé une pression supplémentaire sur leurs marges bénéficiaires.

Dans ce contexte, certaines compagnies aériennes ont opté pour des stratégies de sous-traitance voire de création de filiales pour réduire les coûts. Ces mesures ont souvent entraîné des suppressions de postes dans le but de rationaliser les effectifs et réduire la masse salariale. Ces décisions pèsent toujours sur l’efficacité opérationnelle des compagnies aériennes dans le contexte de reprise d’activité.

La guerre en Ukraine a eu des répercutions significatives dès fin février 2022, contribuant à un déséquilibre concurrentiel accru en raison des tensions géopolitiques, qui perturbent toujours les relations diplomatiques et commerciales internationales par l’interdiction de survols de certains états. Les compagnies chinoises bénéficient d’un avantage significatif en survolant la Russie et notamment la Sibérie, tandis que les compagnies européennes ont interdiction de survoler le territoire russe. Cela entraîne des temps de trajet plus longs et des coûts supplémentaires en kérosène et équipage pour ces dernières contraintes de contourner la Russie. Les compagnies chinoises, entres autres, deviennent plus rapides et potentiellement moins chères sur ces trajets reliant l’Europe et l’Asie.

La vision globale du transport aérien : perspectives et solutions envisagées

En plus de ces nombreux défis, le secteur se tourne vers l’avenir en envisageant des solutions novatrices pour réduire son impact environnemental. L’Organisation de l’Aviation Civile Internationale (OACI) vise à stabiliser les émissions de CO2 du secteur à partir de 2020 et à atteindre une croissance neutre en carbone à partir de 2025[1].

Une initiative capitale est l’accord historique, ReFuelEU[2] Aviation, conclu entre la Commission européenne, le Conseil de l’Union européenne et le Parlement européen sur les règles d’utilisation des carburants durables d’aviation (CDA ou SAF[3] en anglais) met l’accent sur une transition progressive vers des carburants d’aviation d’origine non fossile, avec un objectif ambitieux d’utilisation de 70 % de ces carburants d’ici 2050.

Cette transformation représente un changement majeur dans la composition des carburants utilisés par le secteur aérien et vise à réduire de manière significative les émissions de gaz à effet de serre.

L’Association du transport aérien international (IATA) s’est fixé pour objectif que 2% du carburant consommé par l’industrie aérienne mondiale soit d’origine durable d’ici 2025, atteignant 10% d’ici 2030. La production mondiale de carburants durables d’aviation (CDA) en 2022 était d’environ 125 millions de tonnes, mais il faudra atteindre 350 à 450 millions de tonnes d’ici 2030 pour couvrir les besoins du transport aérien. Les carburants issus de la biomasse ou les carburants de synthèse (e-fuels), peuvent réduire les émissions de gaz à effet de serre de 70 % à 95 % sur l’ensemble de leur cycle de vie par rapport au kérosène fossile. Ils représentent un levier essentiel pour la décarbonation du secteur aérien, à la fois à court et à moyen terme, et notamment pour les vols long-courriers.

L’innovation technologique joue un rôle crucial dans la réduction des émissions de CO2 du transport aérien. De nouvelles avancées, telles que les avions électriques et à hydrogène, sont actuellement en développement, mais elles ne représenteront qu’une petite fraction de la flotte d’ici 2050. Airbus étudie la possibilité de mettre en service un avion commercial fonctionnant à l’hydrogène d’ici 2035. Cependant, des défis techniques liés au stockage et au transport de l’hydrogène doivent encore être résolus.

En effet, les fabricants majeurs d’avions tels qu’Airbus et Boeing ont reçu commandes historiques pour les flottes des prochaines décennies. Ces avions sont dans la continuité technologique et ne présentent pas de rupture majeure en matière de technologie. Cependant, les améliorations constantes de l’efficacité des moteurs et de la conception aérodynamique permettent déjà de réduire les émissions de CO2. Elles contribuent progressivement à la réduction de l’impact environnemental de l’aviation mais ne sont pas suffisantes pour atteindre les objectifs de décarbonation du secteur.

La France en action : initiatives et mesures prises

La réalisation de ces objectifs nécessite une coordination entre tous les acteurs de la filière, notamment les producteurs de carburants durables, les constructeurs d’aéronefs, les acteurs aéroportuaires et les compagnies aériennes.

La France s’est engagée à réduire les émissions de CO2 du transport aérien de 50 % d’ici 2050 par rapport aux niveaux de 2005.

Un groupe de travail[4], présidé par les ministres chargés de l’Énergie, des Transports et de l’Industrie rassemble des acteurs de haut niveau de l’aérien, de l’aéronautique et de l’énergie, a pour intention de créer une filière de carburants durables. Cette initiative vise à permettre au secteur de l’aérien de réduire ses émissions de gaz à effet de serre et de parvenir aux objectifs de décarbonation européens et internationaux d’ici 2050. La création d’une filière française de production de carburants durables, permettrait de réduire la dépendance aux importations et de préserver l’indépendance énergétique tout en créant des emplois dans les territoires.

Pour accélérer la transition vers une aviation plus durable, le Président français a annoncé en juin 2023 un investissement significatif dans le développement de l’aviation verte. D’ici 2030, la France investira 300 millions d’euros par an pour créer un « avion vert » européen. Cet avion utilisera des carburants durables tels que les biocarburants, l’hydrogène et l’électricité. De plus, des fonds seront alloués au développement de la filière française de Sustainable Aviation Fuel (SAF), ainsi qu’au soutien des startups travaillant sur les petits avions électriques ou à hydrogène.

Des investissements considérables sont réalisés dans le développement d’infrastructures aéroportuaires durables. Un exemple notable est l’aéroport de Paris-Charles-de-Gaulle, qui investit 180 millions d’euros dans des projets visant à réduire son empreinte carbone.

Des partenariats public-privé sont développés pour soutenir la recherche et le développement de technologies aéronautiques plus respectueuses de l’environnement comme le programme de recherche CORAC[5] :  le Conseil pour la Recherche Aéronautique Civile en France réunit l’État, les industriels et les acteurs académiques pour développer des solutions innovantes et durables dans le domaine aéronautique. Il soutient financièrement des projets de recherche et développement axés sur l’amélioration de l’efficacité énergétique, la réduction des émissions et le développement de nouvelles technologies aéronautiques.

Ambitions d’Air France-KLM : sortir de la dette tout en conciliant transition énergétique et objectifs de durabilité

Air France-KLM fortement touchée par la crise économique a mis en place des plans de restructuration pour réduire sa dette et restaurer sa rentabilité. La compagnie se concentre sur des mesures de réduction des coûts et d’optimisation de la marge opérationnelle.

Elle s’est fixée des objectifs ambitieux en matière de réduction des émissions de CO2, notamment de taux de mélange de SAF pour 2030 à 10 % comme consensus avec plupart des compagnies aériennes européennes. Elle investit également dans l’efficacité énergétique de sa flotte, en modernisant ses avions et en mettant en œuvre des pratiques de vol plus écoénergétiques. L’adoption de mesures d’efficacité énergétique joue un rôle crucial dans la réduction des émissions de CO2. Selon l’IATA, grâce à l’utilisation de technologies plus efficaces, les compagnies aériennes ont réussi à réduire l’intensité en carbone de leurs opérations de près de 30% entre 1990 et 2020.

Air France-KLM collabore avec d’autres compagnies aériennes, des constructeurs aéronautiques et des fournisseurs de carburants pour accélérer la transition énergétique. Des alliances stratégiques sont formées pour développer des solutions durables et partager les meilleures pratiques : le projet SAFUG[6], l’alliance Skyteam[7], le programme Clean Sky[8] et le programme CORSIA[9].

Bien que l’efficacité énergétique connaît une amélioration notable au cours de la dernière décennie, les émissions du secteur continuent d’augmenter en raison de la croissance du trafic aérien.

L’utilisation à grande échelle de carburants d’aviation durables reste un défi majeur, tant du point de vue de la production, du stockage et des coûts associés. En effet, la quantité de disponible demeure limitée, des investissements considérables sont nécessaires pour augmenter sa production. Les contraintes économiques auxquelles sont confrontées les compagnies aériennes, aggravées par la crise Covid-19, peuvent entraver la mise en œuvre des mesures de durabilité. La nécessité de concilier la transition énergétique avec les impératifs financiers et opérationnels des compagnies aériennes soulève des inquiétudes quant à la faisabilité réelle de ces objectifs.

Les compagnies aériennes européennes appellent à la vigilance quant aux taxes associées notamment à l’utilisation des carburants d’aviation durables (mandat SAF), qui pourraient entraîner une hausse des coûts des billets. Celles-ci risquent d’accentuer les distorsions de concurrence à l’échelle internationale si tous les acteurs du transport aérien ne sont pas soumis aux mêmes contraintes. Certaines compagnies aérienne, comme Air France qui s’est fixée des objectifs ambitieux en matière de réduction des émissions de CO2, se retrouveraient pénalisées.

Des politiques incitatives, similaires à celles mises en place aux États-Unis, seront nécessaires pour encourager les compagnies aériennes européennes à adopter les carburants d’aviation durables. De plus, une coordination efficace entre tous les acteurs de l’industrie, ainsi que des investissements conséquents, seront nécessaires pour augmenter la quantité de Sustainable Aviation Fuel (SAF).

La transition vers des carburants d’aviation durables et la mise en œuvre de mesures de durabilité dans le secteur aérien sont des défis complexes. Cela nécessitera une coordination continue, des investissements importants et des politiques incitatives pour garantir l’engagement des compagnies aériennes tout en évitant une augmentation excessive des coûts pour les clients. Malgré ces difficultés, l’industrie aéronautique continue à investir dans de nouveaux avions et à rechercher des solutions pour aligner les acteurs et les objectifs vers une aviation plus durable.

[1] https://www.icao.int/environmental-protection/Documents/Publications/fr/6405_fr.pdf

[2] https://www.lesechos.fr/industrie-services/tourisme-transport/accord-historique-europeen-sur-les-carburants-daviation-durable-1938306

[3] Sustainable aviation fuel

[4] https://www.ecologie.gouv.fr/groupe-travail-favoriser-developpement-des-carburants-daviation-durables

[5] https://www.journal-aviation.com/actualites/45798-le-corac-soutient-deja-62-projets-pour-l-aviation-de-demain-dans-le-cadre-de-france-relance

[6] Sustainable Aviation Fuel Users Group : Le SAFUG encourage les compagnies aériennes à utiliser des carburants d’aviation durables et développe des méthodes de production respectueuses de l’environnement.

[7]Air France-KLM fait partie de l’alliance aérienne mondiale SkyTeam, qui s’engage à réduire l’impact environnemental de ses membres et à promouvoir des pratiques durables à travers son programme « SkyCare&Protect ».

[8]Air France-KLM participe au programme de recherche européen Clean Sky pour développer des technologies aéronautiques durables et réduire l’empreinte environnementale de l’aviation.

[9]Air France-KLM soutient CORSIA, un programme de l’OACI visant à compenser les émissions de CO2 de l’aviation internationale.

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